Appel à contribution Dossier Population et développement

Mondes en développement

Appel à contribution pour un dossier thématique sur le thème :

« Population et développement »

Coordinateur : Denis Requier-Desjardins, Sciences-Po Toulouse

La croissance démographique a été considérée, dès l’émergence de l’économie du développement comme discipline, comme une variable fondamentale à prendre en compte dans l’identification des trajectoires de développement : le terme « tiers-monde » a d’ailleurs été proposé par un démographe (Alfred Sauvy). Elle était déjà largement présente chez les économistes classiques, au-delà de la contribution de Malthus, du fait même de leur approche globale et à long terme des trajectoires des économies. Des économistes ont été amenés à intégrer les variables démographiques, dans leurs analyses microéconomiques du comportement des familles (Becker et Lewis, 1974)

Cependant le débat sur la relation entre population et développement a sensiblement évolué depuis un demi-siècle :

Ce débat s’était focalisé dans toute  la seconde moitié  du XXème siècle sur l’impact sur les trajectoires de développement de la croissance démographique de la population globale, celle-ci ayant pu être qualifiée « d’explosion démographique » susceptible de remettre en cause ces trajectoires, ou, au contraire, de les stimuler : en témoignent les débats des conférences de Bucarest (1974) et du Caire (1994), centrés sur la pertinence et la possibilité de « politiques de population » régulant la croissance démographique. La prise en compte de l’avancement, voire de l’accélération, de la transition démographique dans les régions en développement, même si elle est inégale entre les régions et les pays, marquée en Asie et en Amérique Latine, alors que la croissance de la population reste forte en Afrique subsaharienne, a relativisé cette préoccupation. Cependant les modèles de projection démographique, qui prévoient une stabilisation de la population mondiale à la fin de ce siècle, génèrent un débat sur le terme de ce processus de transition et le niveau de population qui sera atteint, en fonction, notamment, des « politiques de population » qui pourraient l’impacter (UN/DESA, 2019 ; Volsett et al. 2020)

En revanche la question de l’évolution de la structure par âge de la population en liaison avec la temporalité de la transition démographique a émergé depuis deux décennies en liaison avec la baisse de la fécondité et de la natalité. Elle a nourri le débat sur la possibilité d’un « dividende démographique » (Bloom et al., 2000 ; Delaunay et Guenguant, 2019 ; Turbat, 2021), basé sur l’augmentation de la part de la population active dans la population totale, susceptible de renforcer le processus d’émergence de certains pays, par exemple en Afrique subsaharienne. Elle suscite cependant des préoccupations qui vont au-delà de cette problématique, comme en témoigne, par exemple, des interrogations sur l’impact économique du vieillissement attendu de la population dans certaines régions ou pays d’Asie et d’Amérique Latine, voire, de manière plus surprenante, d’Afrique subsaharienne. La prise en compte de la structure par âge des populations pose donc la question de son impact sur les trajectoires possibles et le changement structurel des économies des zones en développement.

En parallèle, l’émergence des préoccupations sur la durabilité des trajectoires de développement et sur l’empreinte écologique qu’elles génèrent introduit, au-delà de la relation entre niveau de population, production et consommation, la prise en compte de l’impact spécifique des facteurs démographiques sur cette empreinte et, plus largement, sur l’évolution du climat et des écosystèmes, même si la différenciation des modes de vie, en particulier entre populations du Nord et du Sud, est un facteur au moins aussi déterminant que la croissance démographique. (O’ Sullivan, 2020)

Il faut également mentionner l’évolution des débats sur la relation entre migration et trajectoires de développement, les flux migratoires étant un élément de la dynamique démographique des pays. Depuis les contributions à la fin du siècle dernier de Harris-Todaro (1970) et de la « nouvelle économie de la migration » (Stark et Bloom, 1985), centrées sur les déterminants économiques de la migration au niveau des individus et des ménages, on a vu émerger la problématique de la contribution des transferts de migrants au développement des pays d’origine, ainsi que le débat sur les effets de la migration (Adams et Page, 2005 : Rapoport et Docquier, 2006) sur le capital humain des pays en développement à travers l’opposition entre « brain gain » et « brain drain » (Docquier, 2007) : dans un contexte de vieillissement de la population des pays du Nord, les  politiques migratoires visant à attirer les populations qualifiées du Sud, même si elles constituent une incitation à l’augmentation du niveau de formation dans le Sud, contribuent à ponctionner le capital humain de ces pays. Se pose également la question de la relation entre migration et niveau de développement, potentiellement représentée par une courbe de Kuznetz, alimentant le débat sur l’existence d’une « transition migratoire » dans les pays du Sud, qui passeraient par un maximum migratoire à un niveau intermédiaire de revenu, avant de voir celui-ci se réduire, voire s’inverser (Clemens, 2020 ; De Haas, 2014). Enfin, la question des migrations dues au changement climatique établit un lien important avec la problématique du lien entre dynamiques démographiques et environnementales.

De même, alors que la question du transfert de main-d’œuvre de l’agriculture vers l’industrie, dans un contexte de forte croissance démographique a été au cœur de modèles fondateurs de l’économie du développement, définissant ce dernier comme une marche vers l’état stationnaire (Lewis, 1954 ; Fei & Ranis, 1964) et débouchant sur la définition d’une trajectoire « lewisienne » de transfert de la population active de l’agriculture aux autres secteurs, censée se généraliser au cours du processus de développement, on peut s’interroger sur les caractéristiques de ce « changement structurel »  en liaison avec le nouveau contexte démographique, lui-même variable entre les grands pays du Sud émergents,  comme, par exemple, entre la Chine et l’Inde, dans la mesure où la trajectoire lewisienne ne semble pas généralisée dans tous les pays (Dorin et al., 2013).

Ces éléments constituent une problématique globale de la relation entre population et développement qui se décline différemment dans les diverses régions, en partie du fait des temporalités différentes de la transition démographique. De plus, alors que l’économie du développement a pu privilégier une approche statistique de l’évolution de la population globale, l’évolution des comportements démographiques en matière de choix de fécondité, de cohabitation, de structuration des familles, abordés par les démographes, les anthropologues et les sociologues, a un impact spécifique sur les comportements économiques de production et de consommation, différenciés selon les régions, les pays, les territoires et les secteurs.

A cet égard les problématiques de genre sont au cœur de ces évolutions des comportements démographiques (Ryckman et Maquestiau, 2008). D’une part, elles contribuent à rendre compte de tendances émergentes comme la « seconde transition démographique » (Lestraeghe, 2010). D’autre part, elles permettent de rendre compte des capabilités de la population féminine et de ses capacités d’empowerment, en particulier en matière de participation aux dynamiques de développement économique. En revanche, dans certains pays, on constate un déséquilibre démographique au détriment de la population féminine, résultant d’une préférence pour les garçons qui peut affecter les trajectoires de développement dans le futur. Enfin, ce lien entre problématiques de genre et démographie est souvent mobilisé dans le débat sur le contenu et la faisabilité des « politiques de population », considérées comme partie intégrante des politiques de développement. Ces politiques peuvent renvoyer à la définition d’un « optimum de population » défini au niveau des Etats, alors que les dynamiques démographiques renvoient, avant tout, à des choix personnels s’inscrivant dans le contexte sociétal des relations de genre.

Ces différents aspects pourront donc être abordés dans les contributions de ce dossier thématique de la revue Mondes en Développement, en particulier autour des thèmes suivants :

  • L’impact de la différenciation à la fois de la croissance et de la structure par âge de la population sur les trajectoires de développement des pays du Sud, sur le changement structurel de leurs économies, leur intégration dans les chaînes de valeur mondialisées, et sur l’évolution des relations économiques internationales et du poids des différentes régions en développement dans ces relations.
  • L’impact de l’évolution des comportements démographiques (fécondité, nuptialité, cohabitation, etc.) sur les comportements de production et de consommation dans ces pays, en particulier en liaison avec les problématiques de genre et l’évolution à la fois des structures familiales et des systèmes de production.
  • La relation entre migration et développement, qui renvoie à l’analyse des comportements migratoires et à l’importance des réseaux migratoires, mais aussi à la différenciation des structures de la population due au décalage des rythmes de la transition démographique, et qui intègre l’évolution de l’analyse économique des migrations en liaison avec les déséquilibres de croissance et structurels déjà mentionnés.
  • La définition, la faisabilité et l’impact des « politiques de population », ayant pour objectif d’orienter l’évolution démographique mais renvoyant à une dimension de politique économique (éducation des filles, accès à la santé), là encore avec un lien avec les problématiques de genre.
  • L’analyse de la relation entre démographie, trajectoires de développement et environnement, à la fois dans son effet global sur le changement climatique mais aussi dans celui, différencié géographiquement, sur la biodiversité et les écosystèmes, et sa contribution éventuelle à la définition des trajectoires de développement durable.

Références bibliographiques

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BLOOM D. E., CANNING D., MALANEY P. N. (2000) Population Dynamics and Economic Growth in Asia, Population and Development Review, vol. 26, Supplement: Population and Economic Change in East Asia, 257-290.

CLEMENS M. (2020) The Emigration Life Cycle: How Development Shapes Emigration from Poor Countries, CGD Working Paper 539, Washington, DC, Center for Global Development

DE HAAS H. (2014) Migration Theory: Quo Vadis?,  Working Paper n° 100, International Migration Institute, Oxford, November.

DELAUNAY D., GUENGUANT J.-P. (éds.) (2019) Le dividende démographique en Afrique subsaharienne, Monographies Sud-Nord n° 19 (IEDES/Panthéon Sorbonne), Paris, 120 p.

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TURBAT V. (2021) Dividende démographique et taux de dépendance, in Y. Charbit (dir.) Dynamiques démographiques et développement, Londres, ISTE, 41-59.

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VOLLSET S. E., GOREN E., CHUN-WEI YUAN, CAO J., SMITH A. E, HSIAO T., BISIGNANO C., AZHAR G. S., CASTRO E., CHALEK J., DOLGERT A. J., FRANK T., FUKUTAKI K., HAY S. I., LOZANO R., MOKDAD A. H., NANDAKUMAR V., PIERCE M., PLETCHER M., ROBALIK T., STEUBEN K. M., WUNROW H. Y., ZLAVOG B. S., MURRAY C. J. L. (2020) Fertility, mortality, migration, and population scenarios for 195 countries and territories from 2017 to 2100: a forecasting analysis for the Global Burden of Disease Study, www.thelancet.com, Published online July 14. https://doi.org/10.1016/S0140- 6736(20)30677-2

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Critères de sélection : pertinence thématique, pertinence du champ, originalité de la démarche, clarté de l’argumentation, pertinence des résultats.

Présentation de la proposition selon les instructions aux auteurs de la revue, accessibles à l’adresse :

http://www.mondesendeveloppement.eu/pages/auteurs/consignes-aux-auteurs.html

La contribution est soumise en fichier word par mail à l’adresse :

Denis.Requier-desjardins@ut-capitole.fr

en indiquant en objet « Dossier thématique MED Population et devt »

Échéancier prévisionnel :

31 juillet 2024 : envoi de la proposition de contribution (résumé)

Début septembre : retour des décisions du comité éditorial

Fin décembre 2024 : envoi des articles complets

Fin mars 2025 : envoi des rapports des évaluateurs

Fin juin 2025 : envoi des articles révisés

Septembre-novembre : échange avec les auteurs et les évaluateurs pour la finalisation des articles

Premier trimestre 2026 : Publication